Les évènements qui ont marqué le XXème siècle

I) Le nombre de mathématiciens a augmenté

1) Les raisons

Avant le milieu du XIXème siècle, les « géomètres » comme on les appelait, étaient un petit groupe souvent obligé de gagner leur vie en faisant d’autres travaux. Au cours du XXème siècle, la communauté mathématique a connu une expansion majeure. Elle est passée de quelques centaines de membres en 1900 à des dizaines de milliers  (probablement de l’ordre de 80 000) en 2000, cela en considérant comme «mathématicien» les personnes ayant atteint un niveau de formation équivalent à la thèse de doctorat, et dont la profession accorde une véritable place à la recherche mathématique ou à l’assimilation de ses résultats. Cette croissance a plusieurs origines : tout d’abord, le nombre d’universités a beaucoup augmenté durant le XXème siècle, ceci en réponse à la prise de conscience de l’importance des sciences dans le développement économique et industriel. Les besoins nés de cette prise de conscience ont conduit à intensifier la formation de jeunes mathématiciens afin de les mettre au service des autres  sciences et techniques, comme nous le verrons après avec les « mathématiques appliquées ».

Cette augmentation résulte également de l’accession à la profession de mathématicien par d’autres groupes de personnes. En effet, les femmes, surtout dans les pays occidentaux, forment désormais une partie importante de la communauté mathématique. De plus, presque tous les pays possèdent aujourd’hui une communauté académique, regroupant les acteurs de l’enseignement supérieur qui leur permettent de mettre en place des formations supérieures autonomes et d’ainsi accéder à l’indépendance. Cette expansion va continuer avec le développement des communautés mathématiques des pays émergents, telles la Chine et l’Inde.

Les ouvrages de vulgarisation, comme « La Recherche », « Science et Vie » ou « Tangente », connaissent également un développement important, contribuant ainsi à la « démocratisation » des mathématiques. Mais l’arrivée d’Internet est assurément l’évènement le plus marquant de cette fin de XXème siècle. Autrefois, tout chercheur qui, par exemple, résolvait un théorème, devait le publier et attendre  longtemps avant que les mathématiciens de tous les continents aient eu vent de sa découverte. Désormais, n’importe quel mathématicien peut mettre en ligne ses travaux et ainsi former une formidable base de données. Mais cette facilité d’utilisation fait aussi d’Internet un véritable nid de résultats faux et d’erreurs. Il faut faire très attention à ce qu’on lit sur Internet.

2) Les conséquences

Cette augmentation du nombre de mathématiciens a entraîné une véritable explosion productive. En 1987, Jean Dieudonné, dans "Pour l’honneur de l’esprit humain", a fait une estimation : il y aurait eu autant de théorèmes résolus entre l’Antiquité et 1940 qu’entre 1940 et aujourd’hui, c'est-à-dire autant de mathématiques démontrées d’un côté en 25 siècles, et de l’autre côté en 50 ans. Un grand nombre se maintient en produisant des recherches qui n’ont souvent ni justification ni intérêt. Le résultat, alimenté par le bond effectué par les ouvrages de vulgarisation,  est qu’aujourd’hui, des centaines de milliers de théorèmes circulent sur le Net et dans les revues spécialisées, et que la plus grande partie de ces théorèmes n’ont pas d’ « importance ».

On pourrait alors penser que la croissance de la communauté mathématique, qui entraîne alors une croissance de la productivité, pourrait « épuiser » les mathématiques. On pourrait penser qu’il n’y a plus rien à chercher et plus rien à trouver en mathématique fondamentale. Cela est faux : aujourd’hui, même si  presque tous les  théorèmes « simples », ceux qui ne font pas appel à des outils trop complexes, ont été démontrés, il en reste encore des milliers qui ne l’ont pas été. En effet, il y a de nombreux cas où les mathématiciens doivent, pour résoudre un théorème, en résoudre d’autres qui lui permettront d’avancer dans ses recherches. C’est le cas pour le théorème de Fermat : celui-ci a finalement été résolu, après avoir été l'objet de recherches pendant plus de 300 ans, en 1994 par Andrew Wiles. Mais la démonstration de ce théorème fait appel à des outils très puissants de théorie des nombres. Elle fut obtenue à travers une approche indirecte, à première vue sans rapport avec ce problème, et à l’aide de techniques particulièrement abstraites. Plus précisément, Wiles a prouvé un cas particulier de la conjecture de Shimura-Taniyama-Weil, dont on savait depuis quelque temps déjà qu'il impliquait le théorème. La preuve fait appel aux formes modulaires, à des représentations galoisiennes…

On voit ainsi que la résolution d’un problème numérique relativement simple peut parfois nécessiter l’utilisation  d’outils de la mathématique supérieure et moderne. On peut donner un autre exemple de ce phénomène : l’étude du cercle et de la sphère. Ces objets font apparemment partie des objets les plus simples  de la géométrie. Pourtant, il a fallu attendre le XIXème siècle et le développement de méthodes algébriques et analytiques sophistiquées pour, par exemple, calculer la constante π, qui relie la circonférence et l’aire du cercle de même que la superficie et le volume de la sphère, ou alors pour démontrer l’impossibilité du problème purement géométrique de la quadrature du cercle (la construction à l’aide du compas et de la règle d’un carré d’aire égale à celle d’un cercle donné).

Le fait que les mathématiciens, lorsqu’ils « débroussaillent » un sujet, fassent lever d’autres questions, d’autres conjectures, enrichit le domaine de recherche en mathématique fondamentale et n’épuise donc pas les mathématiques. Il y a même de plus en plus de problèmes à résoudre qui sont de plus en plus compliqués.

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II) La ramification des mathématiques

On peut assister depuis le XVIIIème siècle à une fragmentation de la mathématique. Celle–ci a pris une ampleur encore plus grande au XXème siècle. Elle est la conséquence de plusieurs évènements : tout d’abord l’explosion productive, qui a conduit au besoin de « classer » les recherches, mais aussi le progrès de la recherche, dont nous avons parlé précédemment. Aujourd’hui qu’un grand nombre de problèmes simples et faciles à résoudre ont été résolus, une discipline ne peut se développer qu’en affrontant des problèmes compliqués et difficiles qui exigent le développement de techniques spécifiques, et donc une spécialisation. Le vingtième siècle a été le témoin de cette hyperspécialisation de la mathématique, qui a fini par la diviser en sous-disciplines aux frontières toujours plus étroites et délimitées. 

La majorité de ces sous-disciplines est constituée de petites branches qui se développent dans un temps et un espace très limités pour mourir dans l’ignorance totale des autres mathématiciens. Il existe cependant un grand nombres de branches qui, elles, suscitent un vif intérêt, se portent bien et donnent à leur tour naissance à d‘autres sous-disciplines. Ce sont celles-ci qui ont conduit, dès le début du XXème siècle, à une situation inédite de l’histoire des mathématiques : l’extinction de l’espèce du mathématicien universel, cet individu qui possède une culture exceptionnelle et qui peut embrasser complètement l’ensemble du panorama des mathématiques de son temps. Son dernier représentant semble avoir été John von Neumann, mort en 1957.

Il y a quelques années, on parlait plutôt de « la mathématique ». Ce singulier signifiait qu’alors, on cherchait à avoir un discours unifié et cohérent sur cette discipline. Aujourd’hui, aucun esprit ne peut saisir cette discipline dans ses multiples extensions, plus ou moins éloignées les unes des autres. Il est sans doute préférable d’employer le pluriel pour montrer ce foisonnement.

Interview

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